doi: 10.4013/ver.2009.23.54.04
Les journalistes français. Une profession fragilisée et interpellée par la sociétéRésumé. En France, le métier de journaliste reste ouvert à quiconque à condition d’avoir un emploi reconnu relevant de la convention collective de travail et d’obtenir la carte d’identité professionnelle. Cependant, les organisations patronales de la presse et de l’audiovisuel ne sont toujours pas en accord avec les syndicats de journalistes pour inscrire un code de déontologie de référence applicable à tout professionnel dans la convention collective. L’environnement économique de plus en plus concurrentiel, l’essor des technologies de l’information et de la communication en faveur des pratiques du multimédia ainsi que l’essor des blogs amateurs sur le web, ont modifié le recours aux professionnels dans un contexte récurrent de crise de confiance des Français à l’égard des médias. Malgré un cadre de travail de plus en plus délicat, eu égard à cette l’évolution générale mais aussi des choix éditoriaux des actionnaires, les effectifs professionnels sont les plus élevés de l’histoire (+ 37 000), et la part des femmes est croissante (+ 43%). Mais la crise de confiance interpelle de plus en plus les professionnels sur leurs fonctions sociales dans une démocratie et les invite à débattre non seulement avec les acteurs politiques mais aussi avec ceux de la société civile. Pour renforcer leur cohésion.
Abstract. In France, the employment of journalist is open to every one if the job is recognized by the National agreement and permit to get the professional identity card. However, the press and TV employers organizations and the journalists trade unions are not yet agreed about a recommended Code of ethics that can be applied to every journalist in the National agreement of the profession.The more and more competition in the economical environment, the rapid expansion of the information and communication technologies in favour of new media practices and the amateurs blogs expansion too, have modified the appeal to the professionals of information in a context of the recurrent crisis of confidence of the majority of French people about medias. However this job context hard to please in view of this evolution, but also in view of the editing policies of the shareholders, the number of journalists is increasing and became the highest oh the history (+ 37 000), and the part of the women is increasing (+ 43%). But the crisis of confidence has to questioned more and more the professionals about their social functions in a democracy and invite them to debate not only with the actors of politics but also with these of the civil society. To strengthened the cohesion of their profession.
La question éthique toujours d’actualité
Le journalisme français reste une profession ouverte à laquelle peut accéder qui le souhaite mais à la seule condition de répondre à la définition inscrite dans le Code du travail:
Le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée l'exercice de sa profession, dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse, et qui en tire le principal de ses ressources.
Ce statut juridique fort libéral résulte de la reconnaissance de la profession par la loi3 du 29 mars 1935, avec pour conséquence pour l’employeur de pas faire travailler des "rédacteurs réguliers qui ne soient titulaires de la carte d’identité professionnelle, étant entendu toutefois que l’accès à la profession de journaliste ne peut être fermé".
Dans cet état d’esprit, nulle formation particulière préalable n’est donc imposée, nul parrainage et nulle adhésion à une organisation quelconque ne sont exigés pour exercer le métier. Au regard du droit ordinaire du travail, le journaliste bénéficie notamment d’une "clause de conscience", dispositif particulier permettant la rupture du contrat de travail4 à la charge de l’employeur en cas de cession du journal, de cessation de l’activité et de changement notable d’orientation du média qui peut porter atteinte à son honneur. Dans la foulée de la loi, une convention collective très favorable a été mise en place définissant les relations de travail entre salariés et employeurs (avantages sociaux, salaires, retraites, etc.) et elle a été étendue aux journalistes-pigistes en 1974.
Mais les organisations patronales de la presse et de l’audiovisuel ne se sont toujours pas accordées avec les syndicats des journalistes sur un code de déontologie de référence applicable à tout professionnel et qui soit inscrit dans la convention collective. Depuis le dernier état des lieux réalisé sous la direction de Claude-Jean Bertrand (1934-2007)5, la France a connu beaucoup d’affaires mettant en cause les médias et les journalistes du fait d’informations fausses, abusives ou ne respectant pas la "présomption d’innocence" de coupables désignés ou poursuivis, voire aussi de collusion entre acteurs économiques des médias et des personnalités politiques.
Le débat éthique est donc devenu récurent ces dernières années avec, notamment, la perspective de création d’un conseil de presse rassemblant à la fois les journalistes, les premiers concernés, mais aussi des représentants de la société civile eu égard à la fonction de médiation générale assurée par les médias et les professionnels de l’information dans une société se voulant toujours plus démocratique. Cette perspective serait innovante en France car les partenaires sociaux concernés n’en voulaient pas jusqu’à une période récente. Ce Conseil n’est d’ailleurs pas encore créé et son projet toujours en discussion. Il a été une fois de plus relancé lors des Etats généraux de la presse voulus par le président de la République en 2008 et il a occupé une large part des débats des Assises Internationales du Journalisme, rencontres créées, en 2007, à l’initiative de l’Association Journalisme et Citoyenneté6.
Un contexte économique de plus en plus concurrentiel et déterminant pour les politiques éditoriales, l’essor des technologies de l’information et de la communication favorisant aussi bien les pratiques du multimédias que l’essor des "blogs amateurs" sur la toile ou web, ont modifié les pratiques journalistiques et le recours aux professionnels. Autre élément de tension pour la profession, la crise de confiance des Français à l’égard des médias. Dans l’ensemble, ils demeurent plus ou moins dubitatifs à l’égard des médias et des journalistes. La critique s’expose maintenant très largement sur la toile, soit du fait de blogueurs individuels, soit sur les forums ouverts par les médias eux-mêmes ou sur des sites dédiés7. Emergent alors des discours généralisateurs, peu réfléchis et argumentés, mais qui contribuent à brouiller les représentations sociales des journalistes et fragilisent les médias eux-mêmes.
Ces débats en cours, comme suggéré à l’époque8, pourraient effectivement conduire la profession de journalistes à renforcer sa propre cohérence par rapport à ses missions sociétales, et à pouvoir s’affirmer davantage vis-à-vis de leurs employeurs afin de ne pas agir uniquement dans des perspectives de résultats économiques liés à des modes de couverture de l’actualité en contradiction avec ces missions. Associer publics et représentants de la société civile serait une façon légitime de pondérer de tels écarts et de limiter les "bavures médiatiques" qui ont fait débat.
Il est aussi évident que toutes ces questions relèvent de la formation des journalistes, qu’elle se fasse "sur le tas" à l’embauche, ou dans les établissements de formation professionnelle reconnus ou non par les partenaires sociaux. Une autre approche serait de développer l’éducation aux médias dès le début de l’enseignement secondaire, ceci conformément à la Déclaration de Grunwald (Allemagne) dont l’Unesco a fêté les 20 ans en 2007. Mais la France n’a guère développé cet aspect, indépendamment d’un service spécialisé dont l’impact n’est pas généralisé, le Centre de liaison de l’enseignement et des moyens d’information (CLEMI), organisme du Ministère français de l’Education nationale, en charge notamment de la formation des enseignants pour une meilleure connaissance des médias.
La formation des journalistes français: une professionnalisation accrue
Le dispositif de formation des journalistes français
Si aucun texte ne réglemente l’accès à la profession de journaliste en France, le fait de passer par une formation professionnelle semble toutefois, dans un marché en relative récession, un réel avantage pour obtenir un emploi. Les centres de formation demeurent les premiers lieux de la culture professionnelle, surtout quand ils sont en rapport direct avec une université et des chercheurs spécialisés du domaine. La mise en place progressive d’un marché diversifié de la formation des journalistes a conduit à renforcer la professionnalisation des jeunes journalistes9'.
Ce dispositif est composé de trois pôles principaux: 13 écoles de journalisme bénéficiant d’un agrément de la profession10, une vingtaine de formations universitaires spécialisées au sein des départements d’Information-Communication et une cinquantaine d’écoles de formation privées. Les niveaux de recrutement vont du baccalauréat à la licence (L3). Dans ces structures, les stages en entreprises sont obligatoires et encadrés. Pour ceux qui ne passent par des formations professionnelles, le niveau d’étude atteint le plus souvent supérieur à bac + 3 ou bac + 4 (licence/L3 ou 1ère année de Master/M1) s’accompagne de la construction d’une expérience préprofessionnelle significative sous forme de stages, de remplacements en période de vacances ou de piges. Cette expérience, construite parallèlement aux études, favorise également l’accès à la profession en acculturant les étudiants aux règles de fonctionnement des rédactions qui les accueillent, développant une socialisation plus précoce.
Ainsi, parmi les nouveaux titulaires de la carte de presse 200811, plus de la moitié sont issus d’une formation professionnelle, reconnue ou non par la profession. Tous ont accumulé entre cinq et dix expériences préprofessionnelles, sous forme de stages ou de contrats temporaires dans diverses entreprises médiatiques, représentant en moyenne cumulée environ entre 12 et 24 mois d’expérience sur le terrain.
Les diplômés des écoles reconnues 12 parmi les nouveaux "encartés": vers la stabilisation
Premier constat, l’effectif des élèves issus des écoles reconnu est faible. S’il augmente en nombre (72 en 1991 à 267 en 2000 (+ 73 %) et à 295 en 2008 (+ 9,5 %)), leur part parmi les nouveaux entrants, tend aujourd’hui à stagner autour de 15% après avoir fortement augmenté dans les années antérieures (de 3% en 1991 à 6,4% en 1996 à 13% en 1998).
Tableau 1 - Diplômés des écoles reconnues parmi les nouveaux entrants
Ceci s’explique par le fait que les écoles reconnues sont relativement peu nombreuses (13 à ce jour) et qu’elles ne forment que des petits effectifs (entre 25 et 45 étudiants par promotion). Sur environ 400 journalistes formés par ces écoles reconnues, seuls les ¾ se présentent sur le marché du journalisme. Le passage par ces formations leur permet d’accéder, un peu plus facilement aux médias les plus prestigieux: quotidiens d’information générale et politique, grands médias nationaux audiovisuels. Mais, globalement, les journalistes formés dans les écoles agréées ne représentent qu’à peine 15% de la profession. Ceci signifie que, parmi les journalistes en poste en 2009, vraisemblablement plus de la moitié n’ont reçu aucune formation professionnelle préalable et se sont donc formés sur le tas; il s’agit bien sûr des journalistes ayant passé le cap des 40 ans, les plus jeunes ayant bénéficié à la fois de la massification de l’enseignement supérieur et de l’élargissement des offres de formation professionnelle.
Evolution générale de la profession entre 1990 et 2009: un marché d’emplois fragilisé
Le groupe professionnel des journalistes français a connu une forte augmentation de ses effectifs entre 1945 et 1990 et une diversification importante, liée à la multiplication des offres médiatiques et à l’apparition de nouvelles spécialités techniques. Parallèlement à la création de titres de plus en plus spécialisés, à la technicisation de l’activité tant en presse qu’en audiovisuel ou sur le web, des formes variées de spécialisations croisées ont conduit à une atomisation très forte du groupe.
Depuis 1990, on observe une certaine stagnation des effectifs du groupe des journalistes: le facteur explicatif principal est la réorganisation en cours des marchés médiatiques avec la fragilisation croissante de la presse écrite d’information (qui conduit certains à s’interroger sur sa disparition éventuelle), la croissance des offres télévisuelles et surtout la montée en puissance des sites web d’information.
Les principales sources statistiques
La population est bien connue grâce précisément à l’existence de la Commission de la Carte d’Identité de Journaliste Professionnel (CCIJP13). Ses données générales sont reprises dans les annuaires statistiques du Ministère de la Culture et ont servi de base à différentes études menées par l’Institut Français de Presse sur le profil sociodémographique de la profession en 199014 (population 1989) et en 200015 (population 1999). Une troisième étude va être entreprise en 2010 (population 2009) dans le cadre d’un contrat de recherche entre l’Institut Français de Presse et l’Agence Nationale de la Recherche16.
Les données de la CCIJP concernent la situation des journalistes professionnels "encartés", ayant un emploi. Il s’agit d’un reflet partiel du marché d’emploi des journalistes ; échappent à la CCIJP le secteur du journalisme institutionnel (services de communication), encore sans doute partiellement celui du journalisme en ligne quand il s’exerce sur des sites sans lien direct avec l’univers des médias, les grands portails des FAI ou des grands moteurs par exemple.
L’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques17, avec ses "Enquêtes emploi" régulières, la Direction du Développement des Médias18 (service du Premier Ministre), avec ses données régulières sur les marchés des médias constituent des sources très importantes également. Enfin, deux observatoires, celui des Métiers de la Presse19 et celui des Métiers de L’audiovisuel20 produisent des travaux qui visent à éclairer les besoins en formation des personnels des médias, toutes catégories professionnelles confondues.
La fin d’un cycle de croissance
Tableau 2 - Evolution des principaux indicateurs statistiques de la CCIJP
Entre 1945 et 1990, la profession a connu une croissance forte et régulière, avec un doublement tous les 20 ans de la population des journalistes encartés. Toutefois, depuis 1990, on observe un ralentissement de cette croissance, l’ensemble des indicateurs montrant plutôt des évolutions à la baisse. Le seuil des 30 000 journalistes titulaires de la carte de presse est franchi en 1997, puis des 35 000 en 2002 mais sur les trois dernières années on constate une certaine stabilisation autour de 37 000 cartes. De même, depuis 2004, le nombre des pigistes se stabilise, autour 6 700/6 800.
La croissance du groupe est plutôt portée par les journalistes salariés, alors même que les entreprises de presse se trouvent dans une situation économique difficile, et que, pour certaines d’entre elles, des plans sociaux rigoureux ont conduit à une diminution des effectifs.
Les données de la CCIJP sur les renouvellements, les sorties et les premières demandes montrent une stagnation de la part des renouvellements, autour de 92 à 95 % de cartes émises chaque année. Les journalistes en poste préservent leur situation dans un contexte agité: changements de formules, évolutions des structures capitalistiques, plans sociaux, etc. Le nombre de premières cartes est en baisse relative (8 à 5%), alors que la part21 de ceux qui quittent la profession reste stable (5%). Ce phénomène conduit aussi à un vieillissement de la population des journalistes 22 dont l’âge moyen est désormais de 42 ans. Enfin, la croissance de la part des chômeurs est réelle: elle parait toutefois faible au regard des évolutions des effectifs dans les rédactions. Il faut savoir toutefois que nombre de chômeurs essaient de rester sur le marché du travail en travaillant à la pige.
La part des pigistes se stabilise
Les pigistes sont des journalistes professionnels mais qui exercent leur activité de façon indépendante et qui sont rémunérés à la tâche, c’est-à-dire à l’article publié. Ils doivent entretenir un réseau relationnel vaste avec diverses rédactions pour s’assurer une activité régulière, et des revenus à peu près stables. Ils sont donc souvent considérés comme des journalistes précaires. Toutefois, ils bénéficient, depuis 1974, des mêmes avantages sociaux (couverture sociale, congés, droits à la retraite) que les journalistes salariés. Ce groupe a connu une croissance encore très forte entre 1981 et 2000: + 99,34% entre 1981 et 1990 et encore + 56,92% entre 1990 et 2000. Mais depuis cette date, on constate une stabilisation des effectifs.
Tableau 3 - Les pigistes : répartition hommes/femmes (en nombre)
Variable d’ajustement du marché de l’emploi des journalistes, ce groupe est plus sensible aux variations économiques du marché des médias. Ils viennent bien en quelque sorte "boucher les trous" dans les rédactions. Plus récemment, ce mouvement n’est plus aussi lisible, l’augmentation des difficultés économiques des médias expliquant largement cette modification. Tout d’abord, la pression sur la rentabilité des journalistes salariés augmente, alors même que leurs situations sont fragilisées par la crise de la presse écrite23, et plus largement la baisse des investissements publicitaires dans le secteur des médias. Ensuite, il faut noter la croissance d’un phénomène particulier: celui de l’augmentation des stages préprofessionnels en entreprise. La professionnalisation des études en journalisme24, l’augmentation des effectifs qui passent par des formations professionnelles conduit à la mise à disposition des rédactions d’une main d’œuvre de bon niveau général et déjà partiellement formée, largement utilisée dans les entreprises suivant les mêmes règles que les pigistes avec un avantage supplémentaire, ils ne sont pas ou très peu payés!
La poursuite de la féminisation
La féminisation de la profession se poursuit mais la parité absolue n’est pas encore atteinte: on compte 34,02% de journalistes femmes en 1990, 39,68% en 2000 et 43,86% en 2008. Ce sont les femmes journalistes qui "portent" la croissance globale du groupe avec toutefois, comme pour les autres indicateurs, des taux de croissance en diminution : + 105,19% entre 1981 et 1990, + 43,47% entre 1990 et 2000 et + 25,95 % entre 2000 et 2008. En 2008, le taux de croissance négatif (- 0,9 %) pour les journalistes hommes alors qu’il est de + 1,19% pour les femmes.
Tableau 4 - Evolution du nombre de femmes (en nombre)
Les femmes sont les plus nombreuses dans les dispositifs de formation (jusqu’au ¾ de l’effectif parfois) et elles sont les plus nombreuses parmi les jeunes journalistes depuis plus de 10 ans. De même, la part des pigistes femmes augmente de façon régulière et, en 2005, leur pourcentage devient supérieur à celui des hommes. Elles sont donc aussi plus nombreuses sur des emplois plus précaires même si, par ailleurs, elles sont plus nombreuses à être passées par les écoles de formation et si elles ont un niveau de diplôme supérieur à celui de leurs collègues masculins. Comme dans d’autres secteurs, la qualification ne protège pas les femmes des inégalités face au travail.
Les marchés de travail des journalistes français
Les marchés de travail des journalistes peuvent être abordés suivant trois axes, qui évidemment se croisent: les médias qui les emploient représentant la diversité des secteurs d’activité de ce marché, les spécialités techniques qui sont elles aussi d’une grande variabilité et enfin la localisation géographique du lieu d’exercice. Une étude récente menée par l’Observatoire des Métiers de la Presse25 – reprenant le cadre d’analyse de l’étude IFP de 200026 – fournit des éléments d’information sur les grands secteurs d’emploi, ainsi que sur la répartition géographique et sur les salaires.
La presse reste le principal employeur
La presse écrite reste toujours le plus gros employeur des journalistes, suivie par l’audiovisuel (ensemble des chaînes de télévision, de radio et sociétés de production affiliées ainsi que de nombreux sites de web TV). Dans l’ensemble "autres secteurs" se trouvent agrégés principalement les agences d’information et les sites web d’information.
Tableau 5 - Répartition des journalistes par grands types de médias (en %)
L’Ile de France rassemble la majorité des journalistes.
La répartition géographique montre la persistance de la domination de la région parisienne (ou Ile de France) comme secteur d’emploi. Si l’Ile de France concentre 55% des employeurs, elle regroupe 65% des journalistes. Viennent ensuite trois régions, qui figurent aussi parmi les plus dynamiques sur le plan économique: la Bretagne (4% des effectifs professionnels), la région Rhône-Alpes (4%) et le Nord Pas de Calais (3%).
Les disparités salariales restent fortes
Les revenus des journalistes salariés se situent dans la moyenne des revenus des professions intellectuelles supérieurs de la typologie de l’INSEE. Le salaire moyen mensuel brut, pour 2008, est de 3.491 € et la tranche la plus fréquente est celle 3.000/4.000 € qui rassemble presque le tiers des journalistes salariés (28,4%). Les journalistes pigistes ont des revenus bien moindres puisque leur revenu moyen est de l’ordre de 2000 €. Enfin, il faut noter que, comme dans d’autres secteurs économiques, il y a de fortes disparités de revenus entre les hommes et les femmes. Le salaire médian d’un journaliste homme se situe à environ 3.277 € et celui d’une journaliste femme autour de 2.900 €.
Ce panorama de la profession en France montre une certaine fragilisation. Ses effectifs stagnent, dans un contexte général de récession des marchés médiatiques. Les difficultés sociales et gestionnaires, l’instabilité relative des conditions de travail que mettent en évidence aussi bien le rythme des innovations rédactionnelles (renouvellement des maquettes, création et transformations régulières des sites web) que la multiplication des plans sociaux, en particulier dans les entreprises de presse29. La création de sites d’information sur le web ne compense pas les disparitions d’emplois ni la faible dynamique d’emploi des nouveaux secteurs de l’audiovisuel30. Les rédactions web sont des très petites équipes: une à deux dizaines de journalistes, le plus souvent embauchés sur des statuts précaires, dans des structures juridiques de type sociétés de services ce qui ne leur permet pas de bénéficier du statut de journaliste professionnel.
Formation des journalistes et place de l’information dans la société. un meme debat?
Dans un contexte général où la crise de confiance des Français à l’égard des médias et des journalistes ne faiblit guère, la réflexion sur les M.A.R.S. qui fut chère à Claude-Jean Bertrand demeure toujours d’actualité comme celle sur la formation et la culture professionnelle des journalistes français.
Leur formation professionnelle, quelle que soit le lieu où elle se déroule, repose, sur un enseignement majoritairement dispensé par des journalistes professionnels qui viennent transmettre aux élèves leurs expériences, leur culture, leurs valeurs et leurs savoir-faire. Le modèle dominant ainsi promu est celui des grands médias d’information générale et politique (journaux télévisés des grandes chaînes généralistes, séquences d’information des grandes radios nationales, presse quotidienne et newsmagazines). L’intégration de la formation au journalisme en ligne n’a guère modifié cette orientation, les sites des grands médias étant le plus souvent proposés comme modèles. Toutefois, les emplois, eux, se situent dans des médias et des spécialisations qui excèdent largement l’espace de l’information générale et politique pour inclure l’information spécialisée et l’information de proximité.
La formation professionnelle est complétée par des cours plus généraux, le plus souvent confiés à des universitaires spécialisés; notamment dans le domaine des sciences de l’information et de la communication, mais ces enseignements sont fortement minoritaires. C’est dans ce cadre que s’inscrivent les enseignements concernant l’éthique et les valeurs propres de la profession. Toutefois, ceux-ci restent eux aussi majoritairement centrés sur les questions que soulève l’information générale et politique, n’accordant aucune place aux relations complexes entre journalistes, sources et annonceurs dans la presse spécialisée (presse économique, presse féminine ou plus largement la presse technique et professionnelle).
Si la réflexion sur l’éthique existe dans pratiquement toutes les formations, il n’en est pas de même des approches plus exigeantes relevant de la dimension anthropologique et sociale de l'information et des médias dans les sociétés. La situation de crise que connaissent actuellement beaucoup médias devrait pourtant conduire à aider les futurs journalistes à réinterroger la fonction sociale de leurs entreprises, leur rôle dans le débat public et la construction de la culture de la démocratie. Sachant que cette crise est aussi largement liée à la désaffection du public pour certains médias, notamment généralistes comme la presse quotidienne, il conviendrait de réfléchir sur les contenus offerts et les attentes du public.
Pour sa part, la désaffection des jeunes générations vis-à-vis de la presse, si elle est le corollaire de l’expansion de l’Internet, est un signe inquiétant quant à la place des médias dans la construction du débat public. Mais elle est aussi le reflet d’une certaine absence des journalistes professionnels eux-mêmes dans les réflexions sur les attentes des publics auxquels ils s’adressent, lequel est aussi le grand absent des formations professionnelles. L’insistance sur les résultats d’audience et sur la nécessité de conquérir des annonceurs place au second plan la réflexion sur le lecteur et ses attentes spécifiques, qui sont sans rapport avec celles des annonceurs. Les publics des médias attendent des journalistes qu’ils leur donnent, au-delà des faits, des éléments complémentaires leur en permettant la compréhension, la mise en perspective et l’intégration dans leurs propres savoirs.
Si, par ailleurs, on forme très bien les jeunes journalistes à la manipulation des objets techniques, on ne les fait guère réfléchir sur les conséquences culturelles et sociales de l’utilisation des Technologies de L’information et de Communication (TIC), tant sur leur propre travail que sur les pratiques informationnelles du public. Les TIC modifient le dispositif d'information et le rapport singulier de chacun et de tous à l'acquisition et surtout à l'appropriation des connaissances et donc de l'information. Il est absurde de penser que la lecture, et donc la perception sinon la compréhension, n’est pas modifiée par le passage à un support électronique.
Dans l'univers de l'Internet, le lien dominant aux contenus repose sur l'idée de stocks infinis qu'il suffit d'aller chercher (modèle Google). Cela favorise une consommation superficielle qui ne conduit pas réellement à une appropriation des faits d'actualité et donc diminue le niveau de compréhension que l'on peut en avoir. Les réseaux sociaux en font circuler des éléments, des bribes à travers des commentaires qui en brouillent le sens. D’où l’avis de Marcel Gauchet, rédacteur en chef de la revue Le Débat, interrogé par Le Monde31 sur la survie de la presse écrite:
Ce que démontre le "tous journalistes" est précisément, a contrario, qu’il y a un vrai métier de journaliste. Qu’il faut le redéfinir profondément, mais qu’il va sortir vainqueur de cette confusion car on aura de plus en plus besoin de professionnels pour s’y retrouver dans le dédale et nous épargner de chercher au milieu de 999 000 prises de parole à disposition. Il ne faut pas induire de l’amateurisme global la pulvérisation intégrale du professionnalisme. C’est l’inverse qui va se produire. Le moment actuel est un passage. Mais à l’arrivée, le niveau d‘exigence à l’égard de la presse sera plus élevé et non plus bas.
Tableau 6 - Ecoles de Journalisme dispensant un cursus de formation reconnu par la CNPEJ
1Christine Leteinturier-Laprise est maître de conférences de sciences de l’information et de la communication à l’Université de Paris II Panthéon Assas / Institut Français de Presse depuis septembre 1995. Ses enseignements portent sur la Sociologie de l’innovation et des technologies de l’information et de la communication; l’approche sociotechnique des réseaux; la géopolitique de l’internet; les pratiques journalistiques contemporaines. Dernière publication: Médias, Information et Communication (Co-dir.). Paris, Ellipses (coll. Transversale), 2009, 465 p.
2Michel Mathien est professeur de sciences de l’information et de la communication à l’Université de Strasbourg. Il enseigne au Centre Universitaire d’Enseignement du Journalisme (CUEJ) et à l’Institut des Hautes Études Européennes (IHEE). Depuis 2007, il est titulaire de la Chaire UNESCO "Pratiques médiatiques et journalistiques - Entre mondialisation et diversité culturelle" qui vient de lancer un programme de recherche sur "les médias de l’expression de la diversité culturelle". Derniers ouvrages parus: Les journalistes. Histoire, pratiques et enjeux. Paris, Ellipses, (coll. "Infocom", Paris, 2007; Les représentations des jeunes dans les médias en Europe. De 1968 à nos jours, 2009 (Dir.). Bruylant, Bruxelles, 2009 collection "Médias, sociétés et relations internationales"
.3Code du travail, articles L.7111-1 à L. 7114-1.
4Cf. Code du travail, article L. 7112-5.
5Cf. Mathien, M., 2002.
6Cf. http://www.journalisme.com/
7Cf. des blogs de journalistes: www.rue89.com ; www.mediapart.fr, http://blog.mondediplo.net; des blogs associatifs : www.acrimed.org , www.alternativelibertaire.org ; ou des "blogs amateurs" www.leplanb.org
8Cf. Mathien, M., 2002.
9Cf. Lambert, F.; Laville, C. (dir.), 2008.
10Cet agrément est délivré par une instance professionnelle paritaire rassemblant des représentants du patronat et des journalistes, la Commission Nationale Paritaire de l'Emploi des Journalistes (CNPEJ).
11Cf. Leteinturier, C.; Laville, C.; Devillard, V. De jeunes journalistes trop formés et trop expérimentés. Cahiers du Journalism, à paraître en 2010.
12Cf. infra, liste des écoles reconnues par la CNPEJ.
13Cf. site de la CCIJP: www.ccijp.net
14Cf. Devillard; Lafosse; Leteinturier; Marhuenda; Rieffel, 1991.
15Cf. Devillard; Lafosse; Leteinturier; Rieffel, 2001.
16Cf. Leteinturier, 2009.
17Cf. site de l’INSEE: www.insee.fr
18Cf. site DDM : www.ddm.gouv.fr
19Cf. site observatoire des métiers de la presse: www.metiers-presse.org: Photographie de la profession de journalistes, mai 2009
20Cf. site de l’observatoire prospectif des métiers et des qualifications de l’audiovisuel: www.observatoire-av.fr. Lancement d’une étude sur la situation des journalistes de l’audiovisuel.
21Une première étude conduite par l’IFP et le CRAP en 1999 (Devenir journaliste. Sociologie de l’entrée sur le marché du travail. Documentation Française, 2001) sur les nouveaux encartés de 1990 avait montré une déperdition relativement rapide chez les nouveaux entrants ; un tiers de ceux de 1990 avaient quitté la profession au cours des 8 années suivantes, dont 23 % au cours des 5 premières années ! Autre indicateur important, sur cette cohorte des nouveaux entrants de 1990, les parcours professionnels stables ne vont concerner que 57,6% du groupe, 42,4% connaissant des parcours plus chaotiques, plus discontinus, y compris par sortie de ce champ professionnel.
22INSEE, "Enquête Emploi de 2007": le groupe "Cadres et professions intellectuelles supérieures" (15,5 % des actifs occupés) se répartit entre 9,3% de 15/29 ans, 16,6% de 30 à 49 ans et 18,3% de 50 ans et plus.
23Cf. Tableaux statistiques de la presse. Résultats détaillés de 1985 à 2007. Direction du Développement des Médias, Chiffres clés de la presse, 2009, 112 p.
24Cf. supra.
25Observatoire des métiers de la presse, photographie de la profession de journaliste, mai 2009 ; www.metiers-presse.org
26Cf. Devillard.; Lafosse; Leteinturier, 2001.
28Données DDM (http://www.ddm.gouv.fr/). Chiffre d’affaires de la presse nationale d’information générale et politique (IGP) entre 2000 et 2008 : base 100 milliards € en 2000, 71,5 milliards € en 2008 ! Chute des recettes publicitaires de 1,78 milliard € en 2000 à 1,51 milliard € en 2008!
28Pour Le Monde en 2005; pour Libération, 2003 puis 2009 ; pour Le Figaro, 2003 puis 2009, etc.
29Plan social à Canal + en 2003; Pôle région groupe Hersant/Dassault, janvier 2005 (Clause de conscience) ; Crise à Radio-France Internationale RFI ; Plan de départs volontaires au Monde en novembre 2005 – Rachat de France-Soir en avril 2006 et plan social – Plan social à Libération en juillet 2006 - Plan de départs volontaires à I-Télé en novembre 2007.
30Etudes IFP: entre 1990 et 1999, le pourcentage des journalistes employé dans l’audiovisuel est passé de 9,5% à 12,4%, soit à peine 3% de hausse sur 10 ans! En radio, l’augmentation n’a été que de 1 %.
31En date du 7 février 2009.
In France, the employment of journalist is open to every one if the job is recognized by the National agreement and permit to get the professional identity card. However, the press and TV employers organizations and the journalists trade unions are not yet agreed about a recommended Code of ethics that can be applied to every journalist in the National agreement of the profession.The more and more competition in the economical environment, the rapid expansion of the information and communication technologies in favour of new media practices and the amateurs blogs expansion too, have modified the appeal to the professionals of information in a context of the recurrent crisis of confidence of the majority of French people about medias. However this job context hard to please in view of this evolution, but also in view of the editing policies of the shareholders, the number of journalists is increasing and became the highest oh the history (+ 37 000), and the part of the women is increasing (+ 43%). But the crisis of confidence has to questioned more and more the professionals about their social functions in a democracy and invite them to debate not only with the actors of politics but also with these of the civil society. To strengthened the cohesion of their profession.
MATHIEN, M. 2002. A formaçäo dos jornalistats e a ética da profissäà na frança. In: C-J. BERTRAND, C-J. O arsenal da democracia. Sistemas de Responsabilizaçäo da Midia. Florianópolis, Edusc, p. 327-335.
LAMBERT, f. LAVILLE, C. (Dir.). Faut-il encore former les journalistes?. Mediamophhoses, 24, 10/2008.
DEVILLARD, V.; LAROSSE, M-F.; LETEINTURIER, C.; RIEFFEL, R. 2001. Les journalistes français à l’aube de l’an 2000. Profils et parcours. Université Panthéon-Assas/Paris II – LGDJ, 171p.
DEVILLARD, V.; LAROSSE, M-F.; LETEINTURIER, C.; MARHUENDA, J-P.; RIEFFEL, R. 1991. Les Journalistes français en 1990. Radiographie d’une profession. Documentation française (CCIJP – SJTI), 140 p.
LETEINTURIER, C. (Dir.). 2009. Acteurs et marchés des médias: la production journalistique et son environnement – le cas de l’information générale et politique. 1990/2010. Contrat ANR, décembre 2009.